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OCEAN de VIE

La puissance évocatrice du mot OCEAN nous incite à rêver. Elle active notre imagination et notre curiosité. Nous nous intéresserons à la poésie la littérature la peinture, ainsi qu' aux activités maritimes, et à l'exploration du milieu océanique.

Cabotage au XIX siècle

Le "maître de barque", était un marin qui pratiquait la navigation le long des côtes pour vendre des   marchandises.

L'un d'eux, René Masson a écrit ses mémoires. Il est né en 1812, dans un petit village de la côte ouest du Pays de Léon près de Brest. Son village Porspoder, fait partie du pays des vieux manoirs, des dolmens et des menhirs.

Son père Jean Marie était capitaine au commerce, maître au cabotage. Quant à son grand père, René, maître au cabotage, il a disparu en mer, près du Conquet à bord du sloop "Marie Joséphine".

    Ex-voto (église de Porspoder) évoquant la disparition de son grand père. 

Il raconte : https://m.shabretagne.com/scripts/files/63d185f3ec16c0.36271018/1967_04.pdf

<< En 1824, le mercredi des cendres, je suis parti à 2 heures du matin de la maison pour aller naviguer avec mon père comme mousse. J'avais bonne envie d'aller, mais, lorsqu'il fut question de me lever au milieu de la nuit et d'embrasser ma bonne mère, j'avais le cœur gros >>.

Il embarque sur la goélette la "Clémence" de 100 tonneaux (1 tx = 3 m3). Le bateau fait environ 20 mètres de long. Ils sont 7 hommes à bord avec son père comme capitaine. Ils partent de Brest pour Malaga en Espagne. René sera malade 8 jours jusqu'au cap St - Vincent. A Malaga ils vont charger du plomb de Adra pour Rouen, puis du vin, de l'huile, de la laine, des roseaux pour quenouilles !

Goélette (Jimdohisoiremaritimebretagnenord)

Il retourne à l'école, puis à 16 ans il embarque comme novice sur le même navire. Le bateau charge des canons à Brest pour Dunkerque et de là du charbon pour Brest, puis descend sur Marseille pour trouver un chargement. Ils sont 40 navires escortés par un navire de guerre, craignant les corsaires algériens. René note " la prise d'Alger de 1830 nous a débarrassés de tout cela".

A 19 ans après son service à la mer et un passage à l'école d'hydrographie, il embarque comme second à bord du brick le Prosper de Brest. Le navire est très vieux. Il est affrété pour aller charger du froment au Pont l'Abbé pour Marseille. << Nous mettons à la voile pour Marseille ; vent de sud, beau temps, qui présage presque toujours mauvais temps ; après huit jours de mer, nous sommes obligés de revenir relâcher à Brest, ne pouvant plus lutter contre le mauvais temps et la fatigue du navire, qui prenait beaucoup d'eau >> !

René Masson continu l'énumération de ses voyages qui le conduisent régulièrement en méditerranée. On découvre le type de cargaison chargée et les prix des denrées au tonneau !

En mai 1835, il embarque comme second sur le brick l'Auguste, de Brest, capitaine Le Ven Tanguy, brave et digne garçon ; nous partons de l'Aber Wrac'h pour Marseille vers la fin mai. De Marseille nous allons à Palerme prendre des ordres ; on (l'armateur) nous envoie à Licata prendre du soufre pour Rouen, où nous arrivons fin d'août ; à Rouen nous chargeons de la farine et venons compléter au Havre notre cargaison de farine pour Cette (méditerranée). De là partons avec vins et autres pour Rouen. Arrivés à Rouen en janvier, ordre de notre armateur, de me diriger vers St Valery s/S pour prendre le commandement du brick la Bonne Mère.

... Etant à Marseille avec mon vieux brick, mon courtier m'envoya à Naples en "sur lest", prendre charge pour Dunkerque, soufre, suc de réglisse. Le choléra était très fort à Naples ; il en mourait de 1000 à 2000 par jour. J'arrivais vers le 20 juillet 1836 et fis mon testament, la nuit qui précéda mon entrée au port, mais heureusement personne ne fut atteint dans le port.

En 1838, il prend le commandement d'un vieux brick-goélette l'Union, chargé de froment à Landerneau pour Le Havre. Il part le 15 novembre par vent contraire, relâche à Camaret, puis à L'Albert-Ildut.

Plan de Laberildut levé en 1816

 Il en repart le 21 par grosse mer, le bateau faisant eau. Le vent du sud les pousse vers les côtes anglaises. Au milieu de la Manche,  << passé une triste nuit, l'eau augmentant toujours ; vu un trois-mâts, fait route dessus, le pavillon en berne ; le trois-mâts en panne, mit la chaloupe à la mer et envoyé celle-ci près du bord. Je suis embarqué, les larmes aux yeux, abandonnant mon navire au gré des flots, engloutissant environ 1.800 Fr pour les 5/16 que j'avais dedans >>.

 album "Voiliers de John Chancellor"

Le lendemain il rencontre une goélette belge Diligence d'Anvers, allant à Setubal Portugal). Il y embarque avec ses quatre hommes d'équipage. Le capitaine belge était aussi un digne homme. Ils arrivent à Setubal, après avoir essuyé des temps atroces et sauvés quatre norvégiens qui étaient sur un navire rempli d'eau. 

Ses différents voyages, nous révèlent toujours la nature des cargaisons qu'il transporte. Ainsi, à Rouen, il charge du plâtre pour Brest, de là il charge de l'avoine pour Bayonne ou dit-il j'arrive heureusement sans avoir vu la barre ronfler ! Il charge alors pour Brest et Lanion. De la, il va à Morlaix par la route, chercher du fret s'engageant ainsi à prendre de l'avoine, du beurre, et des barils de graisse pour Fécamp. Il y charge des morues sèches, des harengs saures et en saumure, pour Rochefort, puis de La Rochelle, pour mettre en charge de l'eau-de-vie pour Dieppe. 

Une lettre de son armateur lui propose d'aller à St Valery sur Somme pour faire construire une goélette de 90 tonneaux, en prenant pour 10.000 Fr d'actions de participation. Ce qu'il va accepter, après quelques difficultés financières. Il va donc surveiller la construction de la goélette "Nelly Godquin" de son armateur Godquin, épouse Le Roux, brave et digne femme dit-il, et lui excellent homme, peut être trop bon pour certaines personnes remarque t-il !

Il nous relate aussi un fait historique où d'un voyage de Cette (Sète) à St Valery et Abbeville, il va au Tréport voir l'arrivée de la reine Victoria d'Angleterre. Il dit aussi avoir vu le bien regretté Louis-Philippe, ses braves enfants et ses petits-enfants, Comte de Paris et de son frère, alors jeunes.

La "Nelly Godquin" capitaine René Masson, part en février 1844, navigue entre méditerranée (Cette, Marseille),  côtes bretonnes, et normandes St Valery, le Crotoy, Dunkerque et même l'Angleterre à Newcastle pour prendre du charbon.

On le retrouve à Cannes pour prendre du savon, de l'huile et de la parfumerie dont il tirera un bon bénéfice en livrant son chargement au Havre après 78 jours de mer ! Il a alors 32 ans,  20 ans de navigation et fait des économies. En tant que capitaine depuis l'âge de 22 ans, il bénéficie à chaque campagne de 6 à 12 tonneaux de fret,  qu'il peut garnir pour son compte personnel.

On le retrouve encore au Havre en mars 1848 venant de Séville, ayant essuyé la plus grande tempête sur la côte du Portugal. Là il s'enquiert des nouvelles de France, et on lui dit : << Nous sommes en République ; notre roi est allé en Angleterre. Je me mets à pleurer car je voyais les malheurs de la France ; avoir renvoyé une famille si estimable que la famille d'Orléans, cela nous portera malheur >>. L 'année 1848 a été "méchante" pour lui, par trois fois, il a été sauvé par miracle !

Il continue de "caboter" (c'est le terme) et en 1849, il est à Douarnenez où il a des connaissances. Il se renseigne pour charger des sardines pour Cette. (La sardine est empilée dans des barils en couches alternées avec du sel et pressée. Le "pressage" est l'ancêtre de la conserverie qui apparait vers 1850 ).

Flotte sardinière à Douarnenez

Les négociants viennent admirer le navire et tous me faisaient compliments dit-il. Le choléra se déclare et 39 décès seront enregistrés ce jour là. En cette année 1949, la sardine fut très abondante.  Il charge ainsi 16 barils de sardines et en signant ses "connaissements", une demoiselle Francine Girard lui dit : <<Vous ne nous déplaisez pas, capitaine, et si vous voulez allez à Bergen en Norvège, prendre de la rogue pour ici, je pense que moi et ma famille pourrons vous fournir un chargement >>. Le début des années 1850 passe, la sardine "donne" toujours, la "rogue" (oeufs de poissons) lui procure aussi un fret conséquent ainsi que le charbon de Cardiff. 

Le 26 avril 1854, il se marie à 42 ans avec Marie Désirée Thirion, orpheline demeurant au Dreff en Porspoder petit village sur la côte nord de Brest. Il achètera une maison en 1855 à Lanildut à côté de celle de sa mère.

 Maison de maître au cabotage à Lann Ildut 

Blason sculpté  sur une maison de maître au cabotage

Ils auront 5 enfants dont 2 décèderont en bas âge. Son aîné Michel prendra à son tour le commandement de la "Nelly Godquin" qu'il aura définitivement acquise. Sa seule fille, Marie Emilie est mariée  en 1888 à un enseigne de vaisseau, Monsieur Dourver. C'est sa descendance qui publiera son journal. 

Son journal s'arrête en 1888. Il dit << Je m'arrête, peut être pour toujours. Puisse mon griffonnage être utile et agréable à quelqu'un >> .

De 1888 à 1891, année de sa mort, il continue sa vie de retraité. Tous les soirs, il descendait au port de Laber retrouver ses amis les caboteurs ; ils parlaient de leurs campagnes et de leurs bonnes fortunes ; on les entendait rire, car René Masson était un joyeux compagnon et contait fort bien. 

Sa mort fut douce, il était armé pour ce dernier passage.  Peut être comme il se plaisait à le dire, ses vieux compagnons des bons et mauvais jours, se trouvèrent là, sur le dernier rivage, pour l'accueillir fraternellement, d'un << Sell ta Ronan >> (Regarde donc, voilà Ronan qui arrive) !

* le dessin en couverture est de Pierre Ozane, ingénieur maritime, dessinateur, ayant participé à des voyages scientifiques au XVIII siècle.

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Le petit village de Porspoder mérite une  visite ainsi que la côte qui fait face à l'ile d'Ouessant. Le port de Lanildut est fréquenté par une flotte importante de bateaux goémoniers. (Le premier de France sinon d'Europe !)

 

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